« À défaut de faire grandir notre pays, évitons de le rabaisser constamment ! » par Barka Ratou, cadre retraité de la Banque Centrale

Vendredi 10 Janvier 2025

il serait tout aussi naïf de continuer d’accuser les autres et de clamer que le Tchad appartient aux Tchadiens, sans nous interroger sur nos propres comportements, nos propres responsabilités, et l’incidence qu’ils peuvent avoir sur l’image de notre pays, voire sur la perception que le reste du monde peut avoir du Tchadien en tant que membre de la communauté humaine.


 
| Opinion libre #TchadOne par Barka Ratou, cadre retraité de la Banque Centrale : « À défaut de faire grandir notre pays, évitons de le rabaisser constamment ! »
Le décès, en avril 2021, du Président Idriss Déby Itno qui dirigeait le Tchad depuis 31 ans, avait fait basculer notre pays dans une longue période d’incertitude faussement dénommée « Période de Transition ». Chaque Tchadien sait ce qu’il en est résulté : des centaines de vies innocentes arrachées et l’instauration d’un régime dynastique dont la gouvernance moyenâgeuse se caractérise déjà, pour l’observateur averti, par une trésorerie de l’Etat exsangue, une économie moribonde, un peuple divisé et désespéré, et une forte accentuation du recul du Tchad sur la scène internationale.
Il serait certes naïf de minimiser le rôle que le contexte international actuel, impitoyable et totalement illisible, a joué dans cette évolution tragique de la situation de notre pays. Mais il serait tout aussi naïf de continuer d’accuser les autres et de clamer que le Tchad appartient aux Tchadiens, sans nous interroger sur nos propres comportements, nos propres responsabilités, et l’incidence qu’ils peuvent avoir sur l’image de notre pays, voire sur la perception que le reste du monde peut avoir du Tchadien en tant que membre de la communauté humaine.
Qu’il s’agisse des violences qui ont marqué les premières années de l’indépendance, de l’instabilité permanente qui a résulté de la naissance puis de la métastase du Front de Libération Nationale du Tchad (FROLINAT), ou encore des événements indicibles de février 1979 et des multiples conférences qu’ils ont engendrées et qui ont conduit à l’éphémère partage du pouvoir entre des chefs de guerre insuffisamment préparés pour donner une perspective au pays, nous devons reconnaître, aux fins d’en tirer les leçons, la légèreté, le manque de vision et de sens de l’Etat dont nos dirigeants ont parfois fait preuve.
L’avènement au pouvoir du Mouvement Patriotique du Salut (MPS) de Idriss Déby Itno et Maldoum Bada en 1990 se voulait une solution à cette trajectoire défavorable de l’histoire de notre pays. Au regard des désaccords vite apparus au sein du pouvoir, puis du refus d’appliquer les résolutions de la Conférence Nationale Souveraine de 1993, les Tchadiens se sont vite désillusionnés. L’histoire leur a totalement donné raison.
Je crois donc légitime, en tant que cadre Tchadien, de me poser une question : Pourquoi, contrairement à leurs frères et sœurs africains confrontés aux même réalités, les dirigeants Tchadiens qui se sont succédé au pouvoir ont, d’une part, été totalement incapables de proposer une perspective à leur peuple et, d’autre part, montré une exceptionnelle capacité à détruire les opportunités qui se sont présentées à eux pour bâtir une nation prospère et riche de sa diversité ?
La réponse à cette question relève sans doute des historiens, des politologues ou des sociologues. Le Tchadien ordinaire que je suis voudrait néanmoins, sans spéculer sur la nature exacte de ce qui s’est passé à N’Djamena ce 08 janvier 2025, mettre en exergue quelques aspects constants et particulièrement choquants du comportement et de la communication de ceux qui nous gouvernent, en m’appuyant principalement sur ce que nous observons depuis le début de la période de Transition.
Comme je l’ai rappelé ci-dessus, le régime MPS sous Idriss Déby Itno n’a pas su tenir sa promesse faite au peuple tchadien, loin s’en faut. On peut néanmoins constater, à travers les propos courageux qu’il a tenus dans les derniers mois de sa vie, que Idriss Déby Itno, à la fois en tant que personne humaine et homme politique, a su tirer de son long et calamiteux exercice du pouvoir des leçons qui pouvaient influencer positivement l’histoire de notre pays après lui. Je n’en voudrais pour preuves que son acceptation de l’idée d’une remise en cause de la forme de l’Etat, sa déclaration relative aux raisons profondes de l’assassinat du Président Ngarta Tombalbaye, ou encore ses propos sur le rôle que la France aurait joué dans la modification de la Constitution et son maintien, à son corps défendant, à la tête du pays.
Nous savons ce qu’il en est advenu : son fils Mahamat Idriss Deby Itno, alias Kaka, entouré et encouragé par ceux-là même qui avaient conduit son père à la mort, a résolument tourné le dos aux dernières résolutions de son père, et étouffé les penchants naturellement révolutionnaires de la jeunesse qui bouillonnaient en lui, pour embrasser et partager avec ses partisans, ses courtisans et les anciens thuriféraires du régime MPS, les délices du pouvoir absolu.
Les événements du 8 janvier 2025 et la version qu’en a donné le Porte-Parole du Gouvernement s’inscrivent dans cette logique : celle d’un Gouvernement issu d’une présidentielle truquée, qui vient d’organiser des élections législatives, municipales et provinciales aux résultats connus d’avance, et qui veut, quoi qu’il lui en coûte, se donner les moyens d’un pouvoir absolu dont tous les rouages continueront d’être aux mains de personnes choisies pour leur capacité à garantir les principales caractéristiques du régime : népotisme, clanisme, arrogance et dédain pour le peuple, incompétence, prédation et kleptomanie. Le résultat est prévisible : le chaos au plan intérieur et le saut dans l’inconnu sur la scène internationale.
Examinons maintenant ce que nous dit le Porte-Parole du Gouvernement sur les événements qui se sont déroulés le soir du 8 janvier 2025 à N’Djamena. Pour être synthétique, il nous dit ceci : 24 jeunes gens d’un quartier sud de N’Djamena (dédaigneusement qualifiés de pieds-nickelés), à bord d’un mini-bus, armés de machettes, de couteaux, de gris-gris et de petits bidons d’alcool, se sont lancés à l’assaut de la Présidence de la République ; leur véhicule est tombé en panne jusque devant la Présidence ; ils se sont jetés de manière violente sur les soldats en façon devant la Présidence, ce qui a suscité la réaction de ceux-ci et conduit aux tirs nourris entendus pendant plusieurs dizaines de minutes dans tout N’Djamena.
La décence me commande de ne pas qualifier les propos d’un aussi haut responsable de mon pays. Je me permets néanmoins de me poser deux questions naïves : un Gouvernement peut-il insulter à ce point l’intelligence du peuple ? Des pieds-nickelés armées de machettes, de couteaux, de gris-gris et de bidons d’alcool auraient donc tenu tête à nos réputés et redoutables soldats pendant si longtemps ?
Voici donc un Gouvernement qui, non content d’ignorer les usages en matière diplomatique (d’aucuns l’ont relevé à la suite de la dénonciation de l’accord de coopération militaire avec la France il y a quelques semaines), se montre aujourd’hui incapable de fabriquer -hélas !- un « mensonge intelligent » et va jusqu’à insulter, sans en avoir conscience, sa propre armée (la branche sur laquelle il est assis !). Il y a ici un exemple particulièrement frappant de cette légèreté que j’ai évoquée plus haut.
Mais il y a plus grave et plus pathétique dans les propos du Porte-Parole du Gouvernement : les armes citées, la référence ponctuée à l’alcool et aux gris-gris, l’évocation du quartier sud de N’Djamena et du moyen de transport utilisé, rappellent d’abord les douloureux événements du 20 octobre 2022 ; elles renvoient ensuite, presque toutes, à une communauté particulière et des leaders politiques précis. Cela est, pour le moins, indigne d’un Gouvernement de la République au 21ème siècle !
On a clairement l’impression qu’après les longues années de conflit agriculteurs-éleveurs sans réaction significative des autorités locales et nationales, c’est aujourd’hui le Gouvernement lui-même qui, par la voix de personnes centrales de son dispositif de gouvernance, creuse le tombeau de la nation tchadienne en enfourchant le cheval de la division du pays sur une base régionale, ethnique et religieuse. Je voudrais le dire ici avec une profonde tristesse : contrairement à ce que pensent les doungourous qui broutent dans les mains de ceux dont la seule vocation est de perpétuer le régime d’exclusion grâce à la terreur, il y a une limite à la docilité de tout peuple !
En tant que Tchadien Lambda, une partie de mon rêve pour mon pays est la suivante : Que ceux qui se sentent aujourd’hui « forts », « courageux » ou « riches » se servent de ces attributs -comme on le voit ailleurs sur notre continent- pour bâtir une nation forte et unie dont ils seront un jour légitimement fiers. A défaut de cela, qu’ils se gardent de s’en servir pour humilier, écraser et esclavagiser leurs compatriotes en plein 21ème siècle !
Je voudrais terminer en paraphrasant une célèbre écrivaine Africaine : les Tchadiens prospèreront ensemble, ou ils périront ensemble !
Bonne et heureuse année 2025 à notre pays !
BARKA RATOU, cadre de Banque Centrale à la retraite et Consultant