L'architecture de la bâtisse est à la hauteur de ses ambitions. Derrière la grille cadenassée, une maison spacieuse a deux étages avec une gigantesque fenêtre centrale en forme de pyramide. La peinture est récente, les mosaïques de carrelages élégantes, le portail forgé imposant. Située derrière le marché de proximité, la maison détonne dans le paysage sablonneux de Njari, quartier populaire de N'Djamena. Tellement que les passants ne peuvent s'empêcher de jeter un œil curieux et interrogatif à ce bâtiment flambant neuf, comme on en voit peu ici. Il abrite le tout nouveau Centre d'étude pour le développement et la prévention de l'extrémisme violent (CEDPE).
Ce premier centre de lutte contre le terrorisme au Tchad a été inauguré en grande pompe le 30 janvier à l'initiative de Ahmat Yacoub Dabio, conseiller du médiateur de la République. « Je ne m'attendais pas à un tel engouement », lance l'homme d'une cinquantaine d'années, qui a financé ce projet en « contractant des crédits ». Ahmat Yacoub Dabio planche sur le CEDPE depuis plusieurs années avec quatre intellectuels tchadiens indépendants. « Ma mère et ma sœur ont été tuées sous mes yeux alors que j'étais encore adolescent. Des amis m'ont ensuite convaincu de rejoindre la rébellion. Aujourd'hui, je veux que les jeunes comprennent que la violence politique ou religieuse ne mène à rien », confie le natif d'Abéché, une ville de l'est du pays.
« Chercher les causes de la radicalisation »Niché au bout d'une route de sable à l'écart du tumulte du marché, ce centre se veut d'abord un laboratoire d'études et de recherches pour prévenir le terrorisme au sein de la jeunesse. « Il faut chercher les causes de la radicalisation des jeunes, puis analyser les conséquences pour mieux combattre l'extrémisme », commente Ahmat Yacoub Dabio. Un volet prévention et sensibilisation a ensuite été mis au point par les fondateurs du CEDPE. « Une classe d'une vingtaine d'élèves sera ouverte sur la base d'un paiement des frais d'inscription. En plus du programme scolaire, il y aura des cours de sociologie et de dialogue », explique l'ancien opposant. Et d'ajouter : « Sur place, les enfants auront également accès à des douches, des dortoirs pour ceux qui veulent rester la semaine et une cantine. Personne ne peut étudier le ventre vide. »
Au Tchad, les jeunes sont les premiers concernés par l'extrémisme religieux. « Il n'existe pas encore de chiffre officiel de la tranche d'âge de jeunes touchés par ce phénomène. Cependant, dans le rapport d'étude conduite par le PNUD 2017, il ressort que dans les pays sahéliens à l'instar de la Mauritanie, du Niger, du Cameroun et du Tchad, les jeunes de 16 à 27 ans sont les plus enclins à se radicaliser », explique Carol Flore Smereczniak, directrice du bureau du PNUD au Tchad.
Le phénomène est jugé « très inquiétant » par les experts tchadiens. « Les jeunes rejoignent les groupes terroristes avant tout pour exprimer leur mécontentent face à la crise économique qui touche le pays », analyse Aboubakar Walar, directeur des affaires coraniques au sein du Conseil national des affaires islamiques. « Ils sont séduits par les cours informels que donnent certains imams chez eux. Ces religieux infiltrés venus des pays voisins connaissent les adolescents, ils savent leur parler pour les séduire », poursuit le docteur. Dans son viseur l'influence grandissante ces dernières années des wahhabites, principalement soutenus par l'Arabie saoudite, sur l'islam local.
La difficile lutte contre Boko HaramLe pays de Toumaï, comme l'ensemble du Sahel, doit également faire face à un autre phénomène : l'insurrection armée de Boko Haram qui touche principalement le lac Tchad. Malgré l'engagement des troupes tchadiennes depuis juillet 2016, N'Djamena n'arrive pas à libérer cette région, touchée par une pauvreté croissante, du joug des djihadistes. Dans ce contexte de tensions sécuritaires, la création du CEDPE est accueillie « favorablement » par le gouvernement. « Depuis peu, nous encourageons les enseignants à s'intéresser à la prévention de la radicalisation. Ce projet peut donc offrir un cadre aux travaux de recherches en cours », explique Dionko Maoundé, représentant du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche.
« Au vu des ambitions affichées par le centre, il serait préférable qu'il soit sous notre tutelle, et non seulement avoir le statut d'association. Cela permettra aux professionnels d'effectuer un travail de haut niveau », poursuit-il. Avant de nuancer : « Mais nous attendons de voir comment il va fonctionner, quel sera le règlement intérieur, les accords avec les partenaires, et bien sûr, les statuts constitutifs. » Mais pour Ahmat Dabio Yacoub et les quatre cofondateurs qui l'entourent, reste à mettre sur la table des négociations l'épineuse question du financement.
...pour lire l'article sur le point cliquer sur http://afrique.lepoint.fr/actualites/deradicalisation-le-tchad-ouvre-son-premier-centre-12-02-2018-2194325_2365.php