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Engager les forces de défense et de sécurité dans la prévention des conflits par le désarmement et le contrôle

Samedi 28 Septembre 2024

Les forces de défense et de sécurité peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention de ces conflits meurtriers entre agriculteurs et cultivateurs.


MAHAMAT ALI MAHAMAT Abdrahman
Coordinateur du Projet d’Etude sur le Nexus Climat-sécurité-environnement en Afrique centrale (Cameroun, RCA, Tchad), chercheur au CEDPE
 
Le changement climatique a des répercussions profondes sur les dynamiques conflictuelles des pays d'Afrique centrale  particulièrement vulnérables à ses effets, notamment au Cameroun, en République Centrafricaine (RCA) et au Tchad. Les variations climatiques, telles que les sécheresses prolongées et les perturbations des régimes de précipitations, affectent gravement l'accès aux ressources naturelles comme l'eau et les terres agricoles, exacerbant les tensions entre communautés et groupes socio-économiques. Cette situation engendre une intensification des conflits liés aux ressources, des migrations forcées et des crises alimentaires, tout en exacerbant les tensions ethniques et régionales.
Dans l’étude menée par le CEDPE (Nexus-climat-sécurité-environnement en Afrique centrale : cas du Cameroun, de la RCA et du Tchad- août 2024) avec le soutien de l’OIF, il ressort clairement que les principaux conflits signalés par les enquêtés sont majoritairement des conflits entre éleveurs et agriculteurs, bien que les éleveurs ne représentent que 7 % de la population enquêtée. Ces conflits sont souvent causés par la fermeture des couloirs de passage des animaux, l’occupation des aires de stationnement et de séjour, mais également par la divagation des animaux dans certains champs qui se trouvent sur les aires de stationnement ou sur les couloirs de passage.
En raison de l'intensification des tensions et des crises, un phénomène de radicalisation a commencé à émerger selon les enquêtés. Cette radicalisation se manifeste par une adoption de positions extrêmes et parfois violentes, alimentées par un sentiment croissant d'injustice, d'exclusion ou de désillusion.

Figure 1 : Contribution des conflits agriculteurs et éleveurs à la radicalisation
 
Selon les témoignages de 215 répondants (Figure 1), les conflits entre agriculteurs et éleveurs dans leurs communautés ont conduit à la création ou à l'adhésion à des milices, des mouvements armés ou des groupes extrémistes. Cette évolution dans la nature des conflits découle à la fois d'une gestion inefficace des conflits et de la persistance des conflits armés, qui rendent certaines régions difficiles à gouverner. Ces dernières années, la situation sécuritaire dans ces 3 pays s’est détériorée, en raison des menaces récurrentes dans lesquelles les dividendes de la paix et du développement sont sapés par l’extrémisme violent et les conflits liés aux ressources. Les Etats ont tenté en fonction de leurs moyens d’apporter des réponses sécuritaires à ces différentes crises.
L’observation de la menace liée aux conflits agriculteurs éleveurs influence les approches en vigueur dans la gouvernance faite par les forces de  défense et de  sécurité. Essentiellement sectorielle et stato centrée, cette communication consiste à aborder le mandat des forces de défense et de sécurité (FDS) sous l’angle de la prévention des conflits entre les agriculteurs et les éleveurs. Depuis une dizaine d’années, le Tchad a entrepris des actions, ayant notamment pour but une meilleure gouvernance de l’insécurité générée par ces conflits. Mais ces efforts ont montré leurs limites doctrinales et opérationnelles face à la constance de ces conflits, qui embrasent désormais une grande partie du pays. D’où l’importance des questions au cœur de la présente réflexion. Pourquoi assiste-t-on toujours à une persistance des conflits agriculteurs-éleveurs au Tchad ? Quelles peuvent être les responsabilités des forces de défense et de sécurité dans la prévention de ces conflits ?
La présente réflexion y répond en procédant à une analyse des facteurs explicatifs de militarisation des communautés d’agriculteurs et d’éleveurs (I) avant de mettre l’accent sur le rôle des forces de défense et de sécurité dans la prévention de ces conflits par l’adoption d’une approche opérationnelle qui se focalise autour de désarmement et de contrôle de circulation des armes (II).
  • Les facteurs explicatifs de la militarisation des agriculteurs et des éleveurs
L’observation fait émerger un constat d’ensemble : un retard significatif de la prise en compte de la prévention dans l’engagement des FDS. En effet, ces dernières, familières de la sécurisation du territoire national par la neutralisation des groupes rebelles, resteront longtemps inefficaces dans les opérations de prévention des conflits intercommunautaires et n’interviennent que pour juguler les conséquences. Ces forces de défense et de sécurité sont donc guidées par un concept westphalien de la guerre ou de la menace – à savoir un ennemi de l’extérieur ou « autre » qui s’en prend à l’État. Peu de place ainsi pour le concept de prévention d’une violence qui émane des sociétés elles-mêmes et qui révèle leurs faiblesses. Ainsi, comme facteurs explicatifs de de la circulation des armes entre les mains des agriculteurs et des éleveurs, nous affirmons que les frontières sont poreuses (A), et le dispositif de contrôle est souvent inefficace (B).
  • La porosité des frontières
  • La porosité des frontières est la première cause de la circulation des armes (dynamique insécuritaire régionale marquée par la crise au Soudan, en Libye, en RCA et au Nigeria…).
  • L’absence constante de présence étatique dans les frontières encourage encore plus la dynamique d’insécurité.
  • Les frontières sont poreuses et difficile à contrôler, la majeure partie  de leur longueur étant située dans des zones difficiles d’accès (Tchad-Soudan 1 300 KM de frontière).
  • Il y a aussi le continuum socio-ethnique, des gens qui ont des branchements avec des communautés vivant à cheval entre les pays. Ceux-là ne connaissent pas les frontières et sont difficilement contrôlables.  
Le flux d’armes se présente comme une source d’opportunité économique pour les acteurs transnationaux entre les frontières des Etats, mais il exacerbe le phénomène d’insécurité.
  • La militarisation des populations d’agriculteurs et d’éleveurs
  • Les tensions croissantes et les failles de la réponse sécuritaire des Etats ont renforcé la méfiance entre les communautés et leur propension à se désarmer ;
  • La question de l’armement des éleveurs par des personnes non identifiées jusqu’ici et le fait que les autorités locales n’arrivent souvent pas à désarmer ces personnes ont des conséquences sur la gestion des conflits de façon pacifique ;
  • Selon INTERNATIONAL CRISIS GROUP, entre 2021 et 2024, les conflits agropastoraux ont fait dans le sud et le centre du Tchad au moins 1 230 morts et 2 200 blessés. Des assaillants disposant un armement sophistiqué (des armes de tir ou de chasse, et Kalachnikovs) et des moyens de locomotion rapides et smartphones sont arrivés récemment dans le pays en provenance notamment des groupes armés actifs en RCA et au Soudan, dont certains partagent les liens ethniques avec des éleveurs et/agriculteurs tchadiens. Ils disparaissent facilement après les attaques, rendant plus difficile leur poursuite par les forces de l’ordre.
  • Face à l’impuissance des pouvoirs publics à régler définitivement ces conflits, il y a souvent la nécessité de mettre sur pied des milices d’autodéfenses communautaires. Ce qui contribuerait à l’enlisement des conflits existant entre les agriculteurs et les éleveurs.  
Les forces de défense et de sécurité peuvent jouer un rôle essentiel dans la prévention de ces conflits meurtriers.
  • Le rôle des FDS dans le désarmement et le contrôle de la circulation des armes
Le recours à la détention  des armes de plus en plus sophistiquées augmente fortement la létalité de ces conflits entre agriculteurs et éleveurs. Les FDS doivent mettre en place un mécanisme de prévention de ces conflits violents à travers le désarmement (A), et le renforcement de contrôle de la circulation des armes (B).
  • Le désarmement : un mécanisme de prévention des conflits violents et meurtriers
  • Les opérations  de desarrment effectuées par la Coordination Mixte de Désarmement (crée en 2021 au Tchad), n’ont pas permis de contenir les violences agropastorales (6 000 armes saisies depuis sa création) ; surtout que pour des raisons de complaisance parfois ethniques, certains hauts responsables impliqués dans des conflits agriculteurs-éleveurs sont désarmables.
  • Les couloirs de passage de ces armes (Thinking Africa, note n°11) sont ceux empruntés par les flux migratoires et la transhumance (les nomades se déplaçant dans ces pays sont souvent des passeurs d’armes).
  • Les FDS aux frontières des Etats doivent s’équiper et coordonner leurs actions pour lutter efficacement contre le trafic illicite d’armes.
  • Le renforcement du contrôle de la circulation des armes
Le trafic transfrontalier des armes de poing de type AK 47 alimente les conflits intercommunautaires dans la région et contribue à l’approvisionnement des groupes armés tels que BOKO HARAM, ex Séléka… Il faut nécessairement que :
  • Les autorités intensifient les patrouilles des FDS dans les zones rurales les plus touchées ;
  • Donner la priorité au renforcement de la confiance entre les communautés et les FDS. Celles-ci pourraient renforcer leur propre capacité à stabiliser les zones et à empêcher que les différends ne dégénèrent en violence plus généralisée.
  • Sur le plan sécuritaire, le renforcement des FDS dans les lieux où se sont déroulées des attaques devrait être mieux adapté, en nombre et en qualité, à la sécurisation des populations les plus vulnérables et à la poursuite des auteurs des crimes,
  • Il est également essentiel que les responsables des FDS transmettent des instructions claires à leurs unités respectives, demandant un traitement impartial des communautés impliquées (Thinking Africa, note n° 11).
Conclusion
Les variations climatiques engendrent une intensification des conflits liés aux ressources généralement entre les agriculteurs et les éleveurs, tout en exacerbant les tensions ethniques et régionales. Des actions, ayant notamment pour but une meilleure gouvernance de l’insécurité générée par ces conflits ont été entreprises. Mais ces efforts ont montré leurs limites face à la constance de ces conflits, de plus en plus meurtriers. Des facteurs liés à la prolifération des armes entre les mains des civils expliquent l’intensité et la recrudescence des conflits entre les communautés d’agriculteurs et d’éleveurs. Les FDS doivent jouer un rôle essentiel dans la prévention de ces conflits violents à travers le désarmement, et le renforcement de contrôle de la circulation des armes.