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La laïcité à l'épreuve de l'extrémisme religieux, un thème qui fait débat

Samedi 21 Novembre 2020

Les intervenants s'accordent globalement sur le fait que la liberté d'expression a ses limites.


Le Centre d'études pour le développement et la prévention de l'extrémisme (CEDPE) a animé jeudi dernier une conférence-débat sur le thème : "la laïcité à l'épreuve de l'extrémisme religieux. De quelle jeunesse attend-on le respect de la laïcité et la liberté d'expression ?".

Plusieurs intervenants se sont relayés pour échanger sur la thématique, notamment le président du Conseil supérieur des affaires islamiques (CSAI) Cheikh Mahamat Khatir Issa, le président du CEDPE Dr. Ahmat Yacoub Dabio, le chercheur et fonctionnaire Kébir Mahamat Abdoulaye, le conseiller à l'ambassade de France Guillaume Dalenda, le président du Groupe de réflexion sur l'avenir du Tchad Ahmat Haroun Larry et d'autres intellectuels.
 
 
"Notre liberté d'expression doit respecter les croyances, les valeurs des autres"

De l'avis de Kebir Mahamat Abdoulaye, la conception de la laïcité diffère en fonction des pays. Il compare notamment la France, les États-Unis et le Tchad. Le paneliste explique qu'au Tchad, le chef de l'État peut se rendre à une prière à l'occasion d'un évènement tout en étant retransmis en direct à la Télévision, sans que cela ne soit perçu comme une entrave à la laïcité. De même, le Conseil supérieur des Affaires islamiques dispose d'instances formelles pour le règlement des litiges.

Faisant le lien entre la laïcité et la liberté d'expression, Kebir Mahamat Abdoulaye constate qu'au Tchad, il n'y a pas une Loi, un texte juridique qui interdit de critiquer les religions. "Mais comme c'est un pays à majorité croyant, les gens par leur sens de responsabilité et de savoir vivre ensemble, n'aiment pas insulter les gens en fonction de leurs croyances". À l'opposé de la France où plus de la moitié de la population affirme ne pas avoir de croyances, explique-t-il en s'appuyant sur un récent sondage.

Revenant sur la polémique née en France suite à l'assassinat d'un enseignant et les propos du président Emmanuel Macron sur les caricatures et la liberté d'expression, prononcés lors d'une cérémonie d'hommage, Kebir Mahamat Abdoulaye condamne cet acte. Il ajoute que "notre liberté d'expression doit respecter les croyances, les valeurs des autres. Aujourd'hui, la question ne se pose pas seulement en France. Cela a des répercussions dans d'autres pays".
 
 
"Les gens doivent comprendre qu'en Islam, la figure du Prophète est une figure centrale"

Un autre intervenant, Dr. Bakary, s'interroge sur la nature des incompréhensions et des liens incessants avec l'Islam. "On a toujours tendance à aborder cette problématique en cherchant à nous ancrer dans la logique de la pensée dominante. Quand on fait ça, on se situe à la périphérie de l'Islam. C'est aussi un point de vue. Quand on dit liberté d'expression, l'Islam a sa manière de penser la liberté d'expression", estime-t-il.

Il ajoute qu'en tant que musulman, il ne peut pas s'exprimer librement sur le sujet sans être taxé d'extrémiste voire de terroriste. À ses yeux, un américain, un français ou un tchadien ne peut pas concevoir les choses de la même manière. "Si on pense cela, c'est ce qui fait qu'on ne se comprend pas. Ce n'est pas un vrai débat en réalité. C'est une espèce de débat où l'on vous dit de cesser d'être ce que vous êtes et de devenir comme ce que l'on veut que vous deveniez".

"L'islam n'entrave pas la liberté d'option. L'Islam est pour la liberté d'expression", soutient Dr. Bakary. Selon lui, le problème ne provient pas de l'Islam ni des acteurs de la religion : "Les gens doivent comprendre qu'en Islam, la figure du Prophète est une figure centrale. On ne doit pas parler de lui de la même manière qu'on parle à une autre personne. Ce personnage, comme le disent certains, c'est vraiment la ligne rouge".
 
 
"Sur les faits, le Tchad c'est un État islamiste radical"

Pour Ahmat Haroun Larry, il y a une certaine hypocrisie au sein de la société tchadienne. "Au Tchad, c'est le texte qui dit que c'est un État laïc mais sur les faits, le Tchad c'est un État islamiste radical (...) Le président de la République, à chaque fois il le montre clairement (...) C'est très facile de dire qu'au Tchad on vit ensemble mais les musulmans attaquent à chaque fois les chrétiens (...) En réalité, nous ne sommes pas sérieux", relève Ahmat Haroun Larry.

S'agissant des caricatures en France, il estime que dès lors que ça trouble l'ordre public, l'État doit intervenir.

Revenant sur les propos du président Macron ("Nous ne renoncerons pas aux caricatures"), le représentant de l'ambassade de France, Guillaume Dalenda, explique que "la phrase qui était évoquée, même si elle a pu être comprise comme telle, ça n'a jamais été l'intention d'un soutien aux caricatures précises qui auraient été la cause du problème".

Guillaume Dalenda estime que le dialogue est possible. Il appelle à briser le mur d'incompréhension :
"Seulement, son devoir lui en tant que président de la République française, il l'a expliqué ensuite à plusieurs reprises, c'est de garantir le droit à l'expression, y compris sous forme de caricature. Même si on peut regretter que certaines s'attaquent, et parfois de façon très violente, à toutes les religions, confessions, problématiques sociales. C'est en France un droit qu'on estime important de garantir mais ça n'est jamais un soutien d'un point de vue particulier. C'est cette espèce de devoir de se poser en arbitre neutre, c'est ça notre compréhension qu'on a de la laïcité.

Ces valeurs, elles restent universelles, même si elles s'expriment différemment dans les sociétés, chez les individus. Ce sont des choses, je pense, auxquelles on aspire tous.

Le dialogue est possible. Ce mur d'incompréhension il faut essayer de le réduire, de le briser, en acceptant que l'autre parle avec son histoire, sa société, sa façon de voir les choses. Mais qu'au fond, on a tous les mêmes aspirations".

D'après Kébir Mahamat Abdoulaye, "les gens ont peut-être mal interprété. (...) Mais je ne pense pas que le gouvernement français encourage les caricatures du prophète au nom de l'Islam. (...) Certains ont peut être interprété très mal mais ça ne doit pas être un facteur pour encourager l'extrémisme, les attentats".
 
 
"Cette conception tolérante de la laïcité au Tchad permet de régler beaucoup de choses"

Répondant à une question sur la présence de lieux de prières dans des lieux publics au Tchad et le respect de la laïcité, Dr. Ahmat Yacoub Dabio estime que "le fait d'implanter une église ou une mosquée dans une institution, je ne crois pas que cela porte atteinte à la laïcité. La laïcité permet à toutes les religions d'être égales". 

Kébir Mahamat Abdoulaye rappelle que, parfois même dans des réunions officielles de la République, l'on permet de s'arrêter pendant quelques minutes pour aller prier. "Les gens acceptent sans problème. Je suis en train d'expliquer la conception de la laïcité tchadienne".
"Le vendredi, on finit à midi, c'est pour permettre aux musulmans d'aller prier. Mais par exemple, en France, à cause de l'Islam, on ne suspend pas les activités administratives parce que les gens vont aller à la mosquée.

Dans la conception française, toute valeur religieuse ne doit pas s'imposer dans les affaires de l'État. Au Tchad, vous pouvez être dans une réunion et dire que vous allez prier. Personne ne vous empêche et cela n'empêche pas les autres de continuer. On l'a vu au 2ème Forum national inclusif. Cette conception tolérante de la laïcité au Tchad permet de régler beaucoup de choses".

Pour sa part, le président du CSAI, Cheikh Mahamat Khatir Issa rappelle que la tolérance doit être au coeur de nos croyances.

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