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Mercenaires de Wagner : le Tchad dans les pas de la Centrafrique ?

Vendredi 6 Décembre 2024

Même s’il s’en défend, la décision du Tchad de rompre l’accord de défense avec la France est interprétée comme le signe d’une volonté de rapprochement avec la Russie. Mais les dénégations du président tchadien ressemblent étrangement au refus à l’époque des autorités centrafricaines de reconnaître la présence des mercenaires de Wagner sur leur territoire. (Libre opinion)


 « Le Tchad n’est nullement dans une logique de remplacement d’une puissance par une autre, encore moins d’une approche de changement de maître ». Cette phrase a été prononcée par Mahamat Idriss Deby Itno il y a soixante-douze heures, après sa décision, prise le 28 novembre dernier, de mettre fin aux accords de défense avec la France. Elle est censée rassurer ses partenaires Français et faire mentir tous ceux qui voient dans la décision sa volonté d’avoir les mains libres pour recourir aux mercenaires russes du groupe Wagner. Mais personne n’est dupe.

D’autant que dans le même discours, le président tchadien n’est pas allé d’une main morte pour critiquer « cet accord devenu obsolète », qui n’a apporté au Tchad « aucune valeur ajoutée réelle sur le terrain militaire », où les soldats tchadiens font « face seuls à des défis variés et sérieux, notamment des attaques de dimension terroriste ».

Diplomatie équilibriste

Pas étonnant que dans la foulée, il s’est empressé de se rendre à Bangui les 5 et 6 décembre prochain en vue de bénéficier d’un « retour d’expérience » de la part de son homologue centrafricain Faustin Archange Touadera, passé maître dans l’art de la dissimulation et de la diplomatie des « contraires ».

Faut-il le souligner, la République centrafricaine s’est depuis longtemps transformé en laboratoire d’une « stratégie hybride avec la Russie ». Malgré la présence des mercenaires russes de Wagner, organisant une violente campagne de dénigrement contre les intérêts français dans le pays, la Centrafrique a renoué avec Paris et les bailleurs de fonds occidentaux.

Le 13 novembre 2024, la France a versé au régime de Bangui pour la première fois depuis trois ans une aide budgétaire, par un don de 10 millions d’euros. Cette aide, selon l’ambassadeur de France en Centrafrique Bruno Foucher, est destinée à financer « directement, sans conditionnalité, ni aucune réserve, des opérations relevant de la souveraineté et de la gouvernance démocratique de l’État centrafricain ». Toujours d’après le diplomate, c’est le « signe du réengagement progressif et de la normalisation des relations bilatérales entre les deux pays ».

« Réceptif aux avances russes »

Après avoir déclaré que la « rupture » avec la France ne « concerne que l’accord de coopération militaire dans sa configuration actuelle », le président tchadien se rend chez le meilleur allié des Wagner dans la sous-région. Or, tout comme en amour, il n’y a que des gestes qui compte dans le domaine diplomatique. Mahamat Idriss Deby Itno ne se rend pas à Bangui pour partager un verre de « Wanawa », l’alcool frelaté distillé par les Russes localement mais pour aborder des questions liées à la survie de son régime.

Si le chef de l’État tchadien a peu gouté « l’absence de coopération et de collaboration de l’armée française » au moment d’une attaque d’envergure des djihadistes de Boko Haram sur une base avancée de l’armée tchadienne dans la région du Lac Tchad fin octobre dernier » ainsi que le refus des Français de lui fournir des informations en leur possession à ce moment-là, en dépit de ses demandes, c’est parce qu’il sait mieux que quiconque que sans un parapluie extérieur, son armée est incapable de contrer à elle seule l’offensive d’une horde de mercenaires venue de la Libye ou du Soudan.

Autrement dit, à défaut du concours des soldats français de Serval, le numéro un tchadien veut s’offrir le service des mercenaires de Wagner. Il est en quête d’une assurance vie pour son régime.

D’ailleurs, on apprend grâce à nos confrères de la Lettre du Continent que le président tchadien est « réceptif aux avances russes ». En prélude au voyage effectué par son ministre des Affaires étrangères Abderaman Koulamallah dans la capitale centrafricaine, en octobre dernier, « des cadres du renseignement avaient été dépêchés de N’Djamena pour s’entretenir en toute discrétion avec l’ambassadeur russe, Alexander Bikantov, ainsi qu’avec le ministre de l’élevage, Hassan Bouba ».

On n’est pas surpris d’apprendre également que vers la fin septembre, « un discret contingent de fonctionnaires russes a rallié » Bangui, et qu’au mois de mai 2024, le Tchad a ainsi « laissé circulé plusieurs éléments de Wagner le long de sa frontière avec la Centrafrique ».

Nier l’évidence

Les dénégations du président tchadien sur sa tentation de recourir aux mercenaires de Wagner pour protéger son régime ressemblent à s’y m’éprendre à l’attitude adoptée à l’époque par son voisin Faustin Archange Touadera. Quand bien même les mercenaires russes étaient déployés dans le pays et qu’ils menaient des opérations contre les groupes armés, l’on se souvient que le président centrafricain et son gouvernement s’échinaient à nier l’évidence.

Même s’il est clair que Mahamat Idriss Deby Itno ne fera pas l’économie d’un partenariat avec le groupe Wagner, il veut reproduire le schéma centrafricain. D’abord parce qu’il veut se protéger à tout prix contre une mauvaise surprise et que son but ultime est de se soustraire au contrôle de la communauté internationale.

Car il est irrité, et ne s’en cache pas, par les demandes de report des élections législatives et locales du 29 décembre prochain pour permettre plus d’inclusivité. C’est dire qu’il n’a que faire du respect des exigences démocratiques et souhaite exclure l’opposition tchadienne du prochain parlement. Pour se faire, il peut être sûr d’un éventuel soutien de la Russie, dont le régime n’a rien de démocratique.

Ce n’est pas Vladimir Poutine qui l’embêtera avec les questions d’inclusivité ou d’équité du processus électoral, puisque dans le kit du parfait allié de Moscou, l’isolement est un point essentiel. C’est l’exemple de l’Iran ou de la Corée du Nord, deux alliés de la Russie qui vivent en marge de la communauté internationale.

Yasmina Perrière

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