À Dakar, le Président Bassirou Diomaye Faye, dans une déclaration retentissante à l’AFP, a justifié cette décision par la nécessité d’une souveraineté pleine et entière. Soixante-cinq ans après l’indépendance, a-t-il déclaré, « un partenariat véritablement fécond, exempt de présence militaire, tel que nous le partageons avec d’autres nations, s’impose. La souveraineté sénégalaise est incompatible avec la présence de bases militaires étrangères. » Ses mots, aussi clairs que le ciel d’un matin d’hiver, résonnent comme une évidence inévitable.
Simultanément, à N’Djamena, le gouvernement tchadien a officialisé la dénonciation de son accord de coopération militaire avec la France, scellant ainsi un double échec pour Paris. Ce coup dur s’ajoute aux retraits précédemment subis au Mali, au Burkina Faso et au Niger, autant de pays désormais gouvernés par des régimes militaires aux orientations souvent pro-russes.
Si les ruptures avec ces régimes sahéliens s’expliquaient par des tensions géopolitiques aiguës, le rejet du Sénégal et du Tchad diffère fondamentalement. Ces nations, piliers du partenariat franco-africain, symbolisent un basculement paradigmatique. Il ne s’agit plus de différends conjoncturels, mais d’un rejet structurel d’un modèle de coopération perçu comme obsolète et empreint d’un paternalisme éculé. On pourrait presque parler d’une véritable rupture épistémologique.
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Antoine Glaser, spécialiste des relations franco-africaines, diagnostique une « déconnexion historique. » La France, selon lui, s’est complaisamment endormie sur ses lauriers, aveugle à la mondialisation de l’Afrique et à la mutation profonde de son paysage géopolitique. Elle a persisté dans une approche héritée du passé, ignorant les transformations majeures qui ont métamorphosé le continent.
Depuis les indépendances des années 1960, la France a privilégié des relations bilatérales avec ses anciennes colonies, système souvent qualifié, avec une pointe d’ironie, de « Françafrique ». Ce système, malgré ses contestations récurrentes, assurait à Paris une influence prédominante. Mais l’Afrique, jeune, dynamique et ambitieuse, refuse désormais cette hégémonie passée.
Francis Kpatindé, expert en affaires africaines, souligne l’incapacité de la France à se réinventer. « L’Afrique est jeune, et cette jeunesse n’a aucun lien sentimental particulier avec l’ancienne puissance coloniale, » affirme-t-il. « La France, quant à elle, demeure figée dans une approche conservatrice, dépourvue de stratégie cohérente pour répondre aux aspirations des nouvelles générations. » Le retrait progressif des troupes françaises témoigne, selon lui, d’un décalage abyssal avec les réalités contemporaines. Ce repli militaire s’accompagne d’une marginalisation économique et diplomatique face à des acteurs émergents tels que la Chine, la Russie, la Turquie et les pays du Golfe.
Une dynamique irréversible ?
La succession de ces retraits – Mali, Burkina Faso, Niger, Sénégal et Tchad – suggère un mouvement profond et probablement irréversible. Ces départs ne sont pas simplement des revers militaires ; ils symbolisent l’érosion d’un leadership autrefois considéré comme inamovible. Les appels à une « coopération rénovée », lancés par Emmanuel Macron, semblent impuissants à inverser la tendance.
Pour autant, ce rejet ne signifie pas une rupture définitive. De nombreux analystes estiment que la France doit réévaluer profondément ses approches, en misant sur des partenariats équilibrés et mutuellement bénéfiques, axés sur des secteurs clés tels que l’éducation, l’innovation et les énergies renouvelables. Une nouvelle ère de coopération, plus équitable et respectueuse, pourrait s’amorcer.
Ce désengagement progressif révèle la fragilité de l’image de la France sur la scène internationale. Alors que l’Union européenne ambitionne de renforcer son rôle en Afrique, l’échec français pourrait compromettre l’influence occidentale face à la montée en puissance des acteurs émergents. L’avenir des relations franco-africaines reste incertain, mais une chose est claire : une profonde mutation est en marche.