Recherche : L’OIF et le CEDPE s’intéressent à une étude sur le nexus climat-sécurité-environnement

Lundi 7 Aout 2023

Le 06 juillet dernier, le CEDPE et l’OIF ont signé un protocole d’accord pour la réalisation d’une étude sur le nexus climat-sécurité-environnement, dans trois pays d’Afrique centrale (le Tchad, le Cameroun et la RCA). Le CEDPE, l’unique prestataire de l’étude entend fournir à l’organisation internationale un rapport d’étude provisoire d’ici fin septembre 2023.


L’espace francophone est en proie à des crises multiformes. Outre les instabilités politiques et sécuritaires, il est également confronté à d’autres formes d’insécurité générées par les changements climatiques et la dégradation des écosystèmes, qui accentuent l’insécurité alimentaire, la pauvreté et les déplacements dans l’espace francophone, et en particulier en Afrique. Bien qu’elle compte 17 % de la population mondiale, l’Afrique ne représente que 3 % des émissions mondiales cumulées de gaz à effet de serre. Toutefois, le changement climatique et les phénomènes météorologiques extrêmes affectent le continent de manière disproportionnée, avec de graves conséquences économiques, sociales, environnementales, et sécuritaires. Parmi les catastrophes climatiques les plus coûteuses en 2022, figurent les sécheresses en Afrique de l’Est qui ont touché 36 millions de personnes et les inondations au Nigeria, Cameroun, Mali, Burkina Faso et Niger qui ont causé plus de 600 morts et plus 1,3 million de personnes déplacées. Au mois de mai 2023, on dénombre déjà plus de 400 morts en République démocratique du Congo et 130 morts au Rwanda de même que d’énormes dégâts matériels à la suite des inondations et glissements de terrain.

L’Union africaine reconnaît que le changement climatique, en tant que multiplicateur de menaces, présente un large éventail de risques pour la paix et la sécurité sur le continent, notamment l'insécurité alimentaire, la perte des moyens de subsistance, la complexité de la gestion des ressources naturelles, la raréfaction des ressources en eau, les déplacements induits par le climat et la possibilité d'aggraver les vulnérabilités, les tensions et les conflits existants. Si les crises climatiques et environnementales ont un impact préjudiciable sur la sécurité dont elles sont un vecteur multiplicateur, à l’inverse, la crise sécuritaire ou armée amplifie les crises climatiques et environnementales en cours. En effet, d’une part les réponses des Etats face au terrorisme induisent une augmentation des dépenses en matière de défense et de sécurité au détriment de la réponse aux besoins en matière d’environnement et de climat. D’autre part, l’aggravation de la situation sécuritaire dans les territoires théâtres d’affrontements conduit à un abandon ou un sabotage des ressources foncières et hydriques locales mais aussi au trafic des ressources naturelles notamment des espèces protégées. Cette double vulnérabilité nuit aux écosystèmes naturels et cause des déficits de production. Fort de ce constat, l’OIF souhaite approfondir la réflexion et l’analyse sur le nexus climat – environnement – sécurité en collaboration avec les centres de recherche et d’analyses stratégiques francophones.

Dotée d’une biodiversité exceptionnelle avec 1,6 millions de km2 de forêt tropicale, 10% de la biodiversité mondiale, 30% des réserves africaines d’eau douce et 34% de réserves mondiales de minéraux précieux, l'Afrique centrale est pourtant l'une des sous-régions les plus affectées par le changement climatique alors même qu’elle est la 2e réserve mondiale de séquestration de CO2. L’on y observe une hausse de la température supérieure à la moyenne mondiale, des régimes pluviométriques de plus en plus imprévisibles et une élévation plus rapide du niveau de la mer dans le Golfe de Guinée. La manifestation de ces facteurs de stress et de chocs climatiques, ainsi que la capacité d'adaptation des États et des communautés, varient considérablement dans la sous-région, en fonction du niveau élevé de vulnérabilité sociale, d’instabilité politique et de pauvreté.

Dans un rapport publié en 2022, le Bureau régional des Nations Unies pour l'Afrique centrale (UNOCA) a mis en évidence six voies principales à travers lesquelles le changement climatique affecte la paix et la sécurité en Afrique centrale : 1) l’intensification de la mobilité humaine (notamment en RDC); 2) la hausse des violences intercommunautaires, en particulier entre éleveurs et agriculteurs (Cameroun, RCA, et Tchad  sont concernés); 3) l’augmentation du crime organisé et des activités des groupes armés non étatiques (notamment au Cameroun, en RCA, en RDC et au Tchad); 4) la pression accrue sur le littoral et la hausse de la criminalité et de la piraterie maritimes (notamment en Guinée équatoriale, en Angola et à Sao Tomé-et-Principe); 5) les conflits fonciers, l’insécurité alimentaire et les pressions sur les terres (c’est le cas du Burundi, du Rwanda, et de la RDC) ; 6) la menace croissante sur la forêt tropicale du Bassin du Congo. Ces facteurs se posent avec acuité au Cameroun, en RCA, en RDC et au Tchad [notamment].

Longtemps réservée à la recherche scientifique et aux sphères politiques, l’impact du changement climatique intéresse de plus en plus un nombre croissant d’acteurs Parmi lesquels l’OTAN, les Nations unies, et le G7.  
L’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) a également engagé plusieurs actions dans ce domaine. Ainsi, à l’occasion de son cinquantenaire, l’OIF a mené une consultation en 2020 auprès de 10000 jeunes, issus de 83 pays. Il en ressort un intérêt majeur des jeunes (dont 51% de femmes) pour les questions environnementales et climatiques, ainsi que le souhait d’être davantage impliqués dans la définition et la mise en œuvre de politiques de développement durable. En conséquence, sensibiliser, éduquer et responsabiliser au-delà des jeunes, les femmes et l’ensemble de la société civile aux questions climatiques et environnementales, s’avère impératif pour la préservation de la planète et la stabilisation des communautés en Afrique au profit des générations futures.

Dans la déclaration de Djerba, les États et gouvernements membres de l’OIF ont réitéré leur mobilisation face aux enjeux du changement climatique. L’OIF à travers son Institut de la Francophonie pour le développement durable (IFDD), a formé plus de 245 000 étudiants depuis 2017 à travers une série de cours en ligne sur l’environnement et le développement durable. Depuis 2022, ces formations distancielles sont complétées par des formations pratiques et écologiques. En complément, la Secrétaire générale de la Francophonie a lancé, en janvier 2021, une initiative de la Francophonie pour le Bassin du Congo qui vise à (i) conduire un plaidoyer en vue de mobiliser la solidarité des États et Gouvernements membres en faveur du Plan d’investissement de la Commission Climat du Bassin du Congo (CCBC), (ii) développer un projet de terrain qui s’inscrit dans les priorités du plan d’investissement de la CCBC, et (iii) accompagner les pays membres de la CCBC pour l’accès à la finance climat.  

Dans le même temps, plusieurs rendez-vous internationaux ont servi de tribune pour le plaidoyer et la sensibilisation sur les enjeux climatiques et leurs implications sur la paix et la sécurité dans le monde, en Afrique et au Sahel en particulier. Les événements les plus récents sont : le congrès mondial de la nature de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) en septembre 2021 à Marseille; les conférences des parties (CdP) sur les changements climatiques dont les 26e et 27e sessions se sont respectivement tenues en novembre 2021 à Glasgow et à Charm el-Cheikh en novembre 2022 ; la CdP15 de la Convention des Nations Unies sur la lutte Contre la Désertification en mai 2022 à Abidjan ; et le One Forest Summit à Libreville en février 2023.

Depuis 2022, la Direction des affaires politiques et de la gouvernance démocratique (DAPG) de l’OIF a entamé un travail reconnu sur le développement du Nexus Sécurité-Climat à travers diverses actions : préparation et participation au Séminaire « 30 ans de l'Agenda pour la Paix (1992 – 2022): De l'Agenda pour la Paix au Nouvel Agenda pour la Paix », tenu le 18 mai 2022 au Caire (en lien avec la Représentation de l’OIF auprès de l’Union africain -RPUA) ; organisation de l’atelier « Climat et sécurité en Afrique : Focus sur le Sahel » lors du 3e Forum d’Assouan, le 22 juin 2022 au Caire (en collaboration avec Thinking Africa); préparation du dialogue multipartis sur le même thème, le 8 septembre 2022 à Addis Abeba dans le cadre du Forum de Tana (en lien avec la RPUA et Thinking Africa) ; participation aux Assises francophones sur le Nexus Agriculture, climat, eau, énergie et biodiversité à Dakar du 5 au 8 décembre 2022  ;  production de notes d’analyses sur la dimension sécurité humaine et environnement au Sahel par l’observatoire du Sahel financé au titre du partenariat avec Thinking Africa, organisation d’une table ronde en partenariat avec le Centre Francopaix en résolution des conflits et missions de la paix sur « Les défis des changements climatiques sur la gestion et la résolution des conflits », le 17 avril 2023.  Ce travail de la DAPG s’intègre dans un nexus plus global, pensé, construit et piloté en synergie avec l’Institut de la francophonie pour le développement durable (IFDD). A cet effet, l’OIF, à travers l’implication de l’IFDD, de la DAPG et de ses représentations extérieures, apporte un appui aux démarches régionales et innovantes d’adaptation et de résilience aux changements climatiques par la mise en place et la vulgarisation d’approches endogènes, intégrées et vertueuses, axées sur les synergies positives entre l’agriculture, le climat, l’eau, l’énergie et la biodiversité.

Au croisement de toutes ces réflexions, il apparait clairement que le changement climatique est un défi pour la paix et la sécurité en Afrique, et en particulier en Afrique centrale. S'il n'est pas traité, il pourrait aggraver les risques pour la paix et la sécurité dans la sous-région. Pour accompagner la sous-région à faire face à l’impact du changement climatique sur la paix et la sécurité, il est nécessaire de collecter des données sur les liens entre climat et conflits, de mieux comprendre les projections et les tendances climatiques, et de renforcer les capacités d’analyse et d’alerte précoce en intégrant le prisme climatique dans les actions de prévention des conflits, de rétablissement et de consolidation de la paix.

Sur la base de ce constat et dans le cadre de son programme « Paix et stabilité », la DAPG a des  termes de référence (TDR) visant à réaliser une étude pour analyser l’impact du changement climatique sur la paix et la sécurité en Afrique centrale. Ayant pris connaissance des Termes de référence qui détaillent minutieusement les tenants et aboutissants du projet d’étude, le Centre d’Etudes pour le Développement et la Prévention de l’Extrémisme (CEDPE) a aussitôt mobilisé ses ressources pour proposer à l’OIF un rapport préliminaire, qui annonce la couleur qu’il entend donner à l’étude. L’élaboration du rapport préliminaire est l’une des conditions citées dans les TDR que les potentiels prestataires devraient fournir avant de parvenir la signature d’un Protocole d’Accord. Dans les TDR, l’OIF a suggéré aux probables prestataires la mise en place d’un consortium de centres d’études à l’effet de mener les travaux de façon conjointe. Le CEDPE aura signifié dans son rapport préliminaire, le faible budget (un plafond de 15.000 Euros, soit 09 millions et quelques) alloué à la réalisation de l’étude. Cette faiblesse budgétaire  ne permet pas selon le Centre, la mise en place d’un consortium. C’est ainsi qu’il s’est proposé d’être l’unique prestataire, avec la possibilité de recruter des experts/spécialistes qui devront mener des réflexions approfondies et originales, assorties de recommandations inédites d’une part, et d’autre part, de mener des travaux de terrain pour recueillir des données factuelles et réaliser par la même occasion un film documentaire (plus un album photos de 300 images) sur la thématique abordée.

Au moment où nous mettons sous presse cet article, le pôle des experts et l’équipe de terrain sont activement en train de mener des travaux minutieux, qui seront soumis à l’appréciation des partenaires ainsi que des gouvernements concernés.