« La justice tchadienne ne vaut rien. Mieux vaut être jugé par un Alfaki (marabout) que par un juge tchadien ». Tels sont les propos d’un fonctionnaire rompu qui maitrise le fonctionnement de l’appareil judiciaire au Tchad, après y avoir travaillé durant des décennies. Les tchadiens ont toujours décrié leur justice à géométrie variable, au sein de laquelle la corruption et le faux y ont trouvé un terreau fertile. En outre, de nombreuses grèves à répétions ne font qu’exacerber la paralysie dont souffre le système.
La dernière grève en date est celle déclenchée depuis le 21 juin 2023, à l’appel des deux organisations syndicales que sont le Syndicat des Magistrats du Tchad et le Syndicat Autonome des Magistrats du Tchad. Les magistrats revendiquent la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, composé uniquement des magistrats dans le cadre de l’indépendance du pouvoir judiciaire, l’amélioration de leurs conditions de travail et de vie, la dotation des chefs des juridictions en moyens roulants et de tous les magistrats en armes de poing. Certaines revendications découlent des recommandations et résolutions prises lors du DNIS, à l’exemple de la réforme du Conseil Supérieur de la Magistrature et d’autres du protocole d’accord signé entre le gouvernement et les organisations syndicales le 04 novembre 2022. Mais vu le laxisme, confondu à une rebuffade du gouvernement de répondre favorablement aux revendications, la grève est maintenue depuis lors jusqu’au moment où nous mettons sous presse cet article.
En dépit d’une rencontre qui a eu lieu entre le Premier Ministre les responsables syndicaux au début du mois de juillet pour un arrangement à l’amiable d’une part, et paradoxalement, les menaces du ministre de la justice de couper les indemnités des grévistes d’autre part, aucune issue n’a été trouvée. Dans l’optique de faire flancher la dynamique de grève, le Premier Ministre a mis en place une commission chargée de contrôler et vérifier les dossiers administratifs des magistrats. Laquelle décision, a suscité un tollé dans les rangs des magistrats qui y voient une décision « politique et subversive, presque irréfléchie et contraire à la loi ». « Le contrôle des dossiers administratifs des magistrats est une patate chaude que le ministre de la Justice et son collègue de la Fonction publique ont filée au Premier ministre, qui n’en a pas moins l’habilitation et qui n’en a pas mesuré les enjeux. Le véritable problème est que les personnes irrégulièrement recrutées dans la magistrature sont en grande partie des arabophones. L’entreprise du Premier ministre est hautement politique et risquée parce qu’elle recoupe avec le bilinguisme, qui sera bientôt invoqué pour stopper ce contrôle. Avez-vous vu le contrôle des agents de l’État aboutir un jour ? Cela ne veut pas dire que les magistrats ne doivent pas être contrôlés, non. Il y a trop d’intrus dans leurs rangs qu’il faut nécessairement dégager car leur conduite impacte la qualité et l’image de la justice. Mais il faut que le contrôle soit mûri et se fasse conformément à la loi et relève des intentions sérieuses et saines. Ce qui n’est le cas dans le contexte actuel de la grève. Je peux parier que si les magistrats reprennent le travail, ce contrôle va être abandonné. Ce qui donne raison aux syndicats qui disent qu’il s’agit d’une décision subversive», explique sous anonymat un haut cadre du ministère de la justice aux journalistes de Tchad Infos.
Tentative de déstabilisation
Les menaces du ministre de la justice de couper les avantages des magistrats et l’initiative de réquisitionner quelques-uns pour assurer la continuité des services n’ayant pas produit des effets escomptés, les syndicats dénoncent des manœuvres peu orthodoxes pour étouffer le mouvement de grève. En effet, un groupe ad hoc a été constitué au sein des deux syndicats début août pour appeler le corps à la reprise du travail. Ce qui a créé une confusion chez les grévistes. Aussitôt, les responsables syndicaux ont suspendu les membres du groupe ad hoc des syndicats, rendant nul et sans effet leur appel à la reprise. Ils y voient une mainmise du ministère pour déstabiliser leur élan.
C’est dans ce tintamarre, que la justice tchadienne se trouve actuellement. Au croisement de tous ces problèmes, il faut le dire, raison gardée que le redressement de l’appareil judiciaire n’est pas pour demain.